Le municipalisme solidaire comme projet politique


« Pendant six ans, je tenais un journal. J'écrivais pour conjurer l'angoisse. N'importe quoi, j'étais un écriveur. L'écriveur deviendra écrivain quand son besoin d'écrire sera soutenu par un sujet qui permet et exige que ce besoin s'organise en projet. Nous sommes des millions à écrire sans jamais rien achever ni publier. » André Gorz - Lettre à D.

Après plus de dix mois d'écriture fragmentaire et 35 articles de blogue, je crois avoir trouvé le sujet qui me permettra de devenir écrivain à travers un projet de livre portant sur la réflexion théorique et l'organisation pratique d'un nouveau mouvement politique : le municipalisme solidaire.

Cette idée m’est venue à l’esprit le 13 août 2012, au beau milieu de la campagne électorale qui laissait présager la fin de la grève, l’élection d’un gouvernement néolibéral (PQ, PLQ ou CAQ) et de quelques députés de Québec solidaire. L’ébullition du printemps québécois, l’effervescence démocratique des assemblées, réunions de cuisines, APAQ et débats publics, contrastait avec la tiédeur de la lutte partisane à l’échelle nationale, où les enjeux de fond étaient souvent évacués, que ce soit au niveau de la gauche ou du projet d’indépendance.

À ce moment, l’articulation entre la question sociale et la question nationale occupait constamment ma réflexion, notamment à travers les tensions entre Québec solidaire et Option nationale. Mais derrière le slogan « socialisme et indépendance » qui semble toujours valide à mes yeux, il manquait encore un troisième élément capable d’articuler les pôles de cette relation : la démocratie réelle, horizontale, inclusive, participative et directe. Ce que la lutte étudiante et la crise sociale qu’elle a engendrée ont montré à l’histoire politique du Québec, c’est l’oubli de la question démocratique dans un projet d’émancipation sociale et nationale.

Cela étant dit, le texte initial s’intitulait « Dépasser les élections nationales : pour un municipalisme solidaire ». Je l’avais écrit d’un trait en une seule journée, et il faisait plus de 6000 mots (15 pages à simple interligne). Compte tenu de sa densité, sa structure défaillante, ses digressions et notes exploratoires, il valait mieux ne pas le publier immédiatement et le laisser mûrir plus longuement. Je n’y suis jamais revenu directement, tout en gardant cette idée en arrière-plan durant la rédaction d'articles de blogue qui ont été publiés subséquemment.

Cela m’a permis d’explorer certaines pistes isolément et avec légèreté, sans avoir à traîner une lourde structure (plan détaillé) et un fil conducteur que je n’avais pas encore dégagé. L’idée s’est davantage concrétisée après ma découverte subite de la situation politique de la Catalogne, qui a tenu ses élections le 25 novembre 2012. Je venais alors de trouver une pluralité d’organisations politiques fort originales dont Esquerra Republicana (gauche républicaine indépendantiste), et Iniciativa per Catalunya Verds - Esquerra Unida i Alternativa (ICV-EUiA), une coalition entre écologistes et communistes à l’intérieur d’une formation écosocialiste.

Mais c’est d’abord la découverte du parti Candidatura Unitat Popular (CUP) qui m’a fait réaliser que le projet politique que j’avais d’abord esquissé vaguement et confusément dans mon esprit avait déjà pris une forme concrète et pratique ailleurs dans le monde. Le 17 décembre 2012, je publiais un article « Vers une nouvelle gauche municipale » qui tentait de transposer théoriquement cette expérience politique dans le contexte québécois. Cela me permettait de lier certaines réflexions disparates relatives à l’écosocialisme, l’indépendance ou le municipalisme libertaire.

Enfin, la découverte récente de la pensée d’Antonio Gramsci m’a permis de décupler mes capacités d’analyse politique à travers les notions d’intellectuel, d’hégémonie, de bloc historique, d’unité populaire et nationale, etc. Gramsci m’a surtout fait comprendre la nécessité d’élaborer une analyse de la conjoncture qui prend au sérieux l’importance de la culture, la société civile et l’État (hégémonie cuirassée de coercition), sans se limiter à la constatation des simples dynamiques économiques. Il devenait en quelque sorte nécessaire de contextualiser les stratégies révolutionnaires, de « nationaliser » la lutte des classes, et même de territorialiser l’analyse de l’hégémonie. À la lecture du livre des néo-gramsciens Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, je réalisais qu’il fallait écrire quelque chose comme « Hégémonie et stratégie indépendantiste », afin de tracer les contours d'une lutte d’émancipation nationale et sociale.

L'archéologie de cette idée permet d'éclairer le projet du municipalisme solidaire, qui réunit en quelque sorte des « morceaux conceptuels » éparpillés qui ont été élaborés sous diverses formes : articles de blogue, notes personnelles, conférences, discussions, etc. Le livre est déjà écrit en quelque sorte, mais dans un état désordonné. L’image du casse-tête m’est enfin apparue de manière claire, de sorte que je pourrai maintenant réunir les fragments dans un tout relativement cohérent.

Certaines personnes m’ont demandé d’expliquer le portrait général de mon livre afin de me suggérer des sources théoriques, documentaires ou pratiques qui pourraient enrichir ma bibliographie et ma réflexion. C'est pourquoi j'ai décidé de publier l’ébauche du projet, sous la forme d'une thèse principale et d’un plan détaillé, sujet à révision, qui réunira plusieurs éléments éparpillés dans ce blogue. Pour les lecteurs et lectrices intéressé-es à m’éclairer, n’hésitez pas à me suggérer des pistes, relire et critiquer mes textes précédents, afin que le projet soit reconstitué et consolidé de manière élégante et crédible.

Thèse principale : La double crise économique et écologique, telle qu’exprimée dans les contradictions de la société québécoise, demande une alternative globale, l'émergence d'une nouvelle société qui devra naître à partir des conditions matérielles et culturelles existantes. D'après nous, la solution au « problème québécois » doit passer par l'édification de villes conviviales, ce qui demande de repenser à nouveaux frais les rapports de la lutte sociale et politique à l'échelle municipale.

Plan détaillé

1. Introduction : la gauche et l’oubli de la ville

2. La question urbaine
            2.1. Introduction à la géographie marxiste (Lefebvre, Castells, Harvey)
            2.2. Métropolisation, postfordisme et villes globales
            2.3. Néolibéralisme, précariat et droit à la ville      

3. L’écologie critique
            3.1. La double crise : capitalisme et écologie
            3.2. De l’extractivisme au mouvement pour la justice environnementale
            3.3. Entre expertocratie et autolimitation
            3.4. Le Plan vert face au mur écologique
            3.5. Critique du réformisme
            3.6. L’écosocialisme
            3.7. Limites de l’État
            3.8. La décroissance conviviale
            3.9. Villes en transition et écologisme utopique

4. Le municipalisme solidaire
            4.1. De l’écologie sociale au municipalisme libertaire
            4.2. Les villes contre l’État
            4.3. Le problème des élections nationales et du pouvoir parallèle
            4.4. Le socialisme municipal
            4.5. Souveraineté nationale, populaire et anarcho-indépendantisme
            4.6. Principes du municipalisme solidaire
            4.7. Contextualisation : entre matérialisme historique et culture

5. Le problème québécois
            5.1. Crise sociale et politique
            5.2. Les villes et la genèse du modèle québécois
            5.3. De l’émergence à la crise de l’État-providence
            5.4. Le rôle des intellectuels : nationalisme identitaire et idéologie libertarienne
            5.5. La reconfiguration des partis politiques
            5.6. De la fissure de l’hégémonie néolibérale au front nationaliste conservateur
            5.7. Les deux voies de sortie : gauche postindustrielle et droite sécuritaire

6. La question nationale revisitée
            6.1. Critique du nationalisme identitaire et civique
            6.2. Qu’est-ce que le géo-nationalisme ?
            6.3. Décentralisation économique, politique et conviviale
            6.4. Retour à Gramsci : la question méridionale
            6.5. Le précariat urbain et l’oligarchie financière
6.6. Les habitants contre les propriétaires rentiers
6.7. L’hégémonie conservatrice : le cas de Québec
6.8. Le problème montréalais et la nouvelle alliance de classes
6.9. L’exemple de Saint-Camille et les médiateurs populaires
6.10. Les assemblées citoyennes, des APAQ aux villages

7. La nouvelle gauche municipale
            7.1. Le modèle catalan : histoire de la CUP
            7.2. La gauche indépendantiste municipale québécoise
            7.3. Principes d’action politique, programme commun et spécificités locales
            7.4. Réseau écosocialiste, recomposition territoriale et gauche nationale
            7.5. Critique des partis municipaux et nécessité d’un mouvement social
            7.6. Indépendance populaire, transition écologique et émancipation sociale

8. Conclusion : retour sur la question urbaine, sociale, écologique, étatique et nationale

Commentaires

  1. J'achète ton livre dès qu'il est publié !

    Aussi, je te propose ce livre de Murray Bookchin, figure emblématique de l'écologie sociale : Pour un municipalisme libertaire. Je ne l'ai pas encore lu, mais le titre dit tout.

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  2. J'oubliais... l'expérience espagnole de la Guerre d'Espagne peut aussi être très inspirante pour l'élaboration d'une thèse politique allant dans le sens de la démocratie directe et libertaire, solidaire et sans État.

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